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Solaire : quarante ans de mauvais choix politiques

En France, l’énergie solaire photovoltaïque peine à se développer. Depuis les années 1980, les choix politiques fluctuants ont déstabilisé la filière.

C’est sans doute l’énergie renouvelable la plus prometteuse et la plus accessible. « Chaque mètre carré de surface terrestre éclairé reçoit en moyenne mille watts de puissance solaire », s’enthousiasme le professeur Daniel Lincot dans sa leçon inaugurale au Collège de France. Une puissance « quasi illimitée » que les humains cherchent à maîtriser depuis des siècles. En théorie, elle pourrait subvenir à l’ensemble de nos besoins énergétiques, selon ce spécialiste du photovoltaïque : « Même si on n’en captait que 20 %, soit le rendement actuel moyen des panneaux photovoltaïques, il faudrait juste un carré de 650 km de côté pour couvrir les besoins globaux de l’humanité » [1] — ce qui représente 422 500 km2, soit les trois quarts de la superficie de la France métropolitaine ou 3 % des terres émergées de la planète. Si l’on ajoute à l’argumentaire que cette énergie peut en plus être produite de manière « décentralisée » et être installée sur des constructions existantes, le solaire a de quoi faire briller les yeux d’un bon nombre d’énergéticiens.

Pourtant, en France, cette filière peine à se développer. En 2021, l’électricité photovoltaïque a couvert à peine 2,7 % des besoins en électricité du pays selon le gestionnaire du réseau, RTE — soit 14,3 térawattheures (TWh) sur 523. Et ce malgré une décennie de discours vantant l’avenir du photovoltaïque. Dans son discours du Creusot de décembre 2020, outre la relance du nucléaire, Emmanuel Macron avait promis un décuplement des capacités photovoltaïques : 100 gigawatts (GW) d’ici 2050, ce qui reviendrait à installer plus de 3 GW par an pendant trente ans [2]. En Allemagne, on envisage d’installer le double de ces capacités d’ici 2030. Quand on connaît l’histoire contrariée du solaire en France, c’est presque un exploit que fin 2021, la filière soit parvenue à installer dans le pays près de 14 GW de puissance en quinze ans.

Les écologistes en recherche de sobriété peu écoutés

Revenons aux années 1970, lorsque les chocs pétroliers et le rapport Meadows ont amorcé la réflexion sur la pertinence de ne plus dépendre du pétrole et du charbon. Dans sa thèse L’histoire des énergies renouvelables en France de 1880 à 1990, Anaël Marrec observe une répartition stricte des rôles : d’un côté, le réseau hexagonal était et reste une prérogative d’EDF et de ses capacités nucléaires et hydroélectriques, de l’autre, en outre-mer et dans les sites isolés, hors du réseau, les ingénieurs d’État étaient libres de s’intéresser aux possibilités techniques liées aux « énergies nouvelles ». Pas question toutefois de toucher au réseau central, comme le suggéraient pourtant déjà des écologistes et une partie des socialistes opposés au tout nucléaire et en recherche de décentralisation et de sobriété. L’arrivée au pouvoir de François Mitterrand en 1981 suscita un espoir aussi de ce côté-là. Mais tenu par un accord industriel avec les États-Unis et par la puissance du lobby de l’atome, le nouveau président entérina la construction de six nouvelles tranches nucléaires par an, bien au-delà des besoins du pays, et passa même en force en utilisant l’article 49.3 en 1982.

Dans le Lot, l’électricité solaire est produite par une coopérative citoyenne. © Celewatt

Seules maigres concessions : l’abandon du projet de centrale fortement contestée à Plogoff, en Bretagne, et la création en 1982 d’une Agence française de la maîtrise de l’énergie (AFME). Pour la première fois, une instance d’État disposait de moyens de recherche et d’action pour faire avancer une politique de sobriété mais aussi envisager la production « d’énergies décentralisées » : solaire thermique, photovoltaïque, biomasse et géothermie. Son expertise allait trouver rapidement écho dans les régions, qui cherchaient à gagner en compétence après avoir reçu de nouvelles missions grâce à la loi de décentralisation. Selon André Joffre, pionnier du photovoltaïque et dirigeant du bureau d’études Tecsol, « ce sont ces régions qui ont permis à l’AFME de ne pas totalement disparaître » quand en 1986 le nouveau gouvernement (de droite) et son ministre de l’Industrie Alain Madelin ont brutalement coupé les crédits de l’agence, avant de la fusionner en 1992 avec d’autres structures chargées des déchets et de la qualité de l’air. L’Ademe (Agence de la transition écologique) est née de cette fusion, tandis que la politique publique en faveur des renouvelables entrait en sommeil.

Mais dans les territoires, des citoyens tentaient de faire sortir de l’ombre quelques projets novateurs. En Rhône-Alpes, une association, notamment issue du mouvement antinucléaire, réalisa en 1992 le tout premier raccordement au réseau d’une microcentrale photovoltaïque d’un kilowatt-crête, et ce à quelques kilomètres du réacteur Superphenix de Creys-Malville.

Cette association, Phébus (rebaptisée Hespul en 2000), allait commencer un constant travail de plaidoyer en faveur du photovoltaïque, pensé comme un moyen de se réapproprier l’énergie et de diminuer les consommations. L’effort a abouti après le retour de la gauche au pouvoir en 1998. Allié aux écologistes, le gouvernement Jospin accepta d’inscrire dans la loi de libéralisation du marché de l’électricité de 2000 l’obligation d’achat par EDF de l’électricité produite par des sources renouvelables. Mais les conditions étaient strictes : un nombre d’heures limitées par an (entre 1 200 et 1 500 selon les zones), un tarif d’achat d’environ 15 centimes par kilowattheure produit (le double en Corse et dans les départements et territoires d’outre-mer). Ce système du tarif d’achat permettait dès lors à n’importe quel producteur d’électricité raccordé au réseau de vendre cette électricité à EDF à un tarif garanti fixe, pendant vingt ans. Le système était alors financé par une taxe sur les factures EDF [3]. Un premier pas mais avec un tarif proposé qui était encore inférieur aux coûts d’achat et d’installation des panneaux par les développeurs renouvelables.

Ruée vers le solaire

En 2006, les choses ont brutalement changé, et comme souvent en France, sans concertation. De retour d’un voyage en Allemagne où il avait été surpris par les progrès faits sur le solaire, le Premier ministre Dominique de Villepin (UMP) décida du jour au lendemain le doublement du tarif d’achat et une indexation à la hausse au fil des années. En parallèle, au sein de l’Ademe, un travail était en cours sur l’intégration des panneaux aux bâtiments et l’agence proposa une prime supplémentaire de 25 centimes d’euros/kWh. « Un saut énorme, qui permettait enfin de s’émanciper des subventions régionales », résume Mélodie de l’Épine, coordinatrice du pôle photovoltaïque pour l’association Hespul. Cette décision, concomitante de l’arrivée des premières éoliennes terrestres, avait aussi la vertu de couper court aux critiques naissantes sur les conséquences des énergies renouvelables sur le bâti. Ce bonus permettait de soutenir une filière alors en plein essor de systèmes intégrés au bâti comme les tuiles solaires de l’entreprise Imerys (connue aujourd’hui comme Edilians).

S’est alors enclenchée une ruée vers le solaire, avec toutes les dérives associées : des propriétaires de terrains pouvaient louer leur terre pour y implanter des panneaux contre une somme importante, d’autres pouvaient miser sur l’installation d’une production sur leur toit pour investir ou s’assurer une meilleure retraite… On vit aussi apparaître la mode des offres « clé en main », notamment les hangars agricoles neufs équipés de panneaux photovoltaïques, « une manière de bénéficier du tarif très avantageux avec un coût du foncier réduit », relève le chercheur Antoine Fontaine dans sa thèse. Dans le même temps, les filières photovoltaïques des autres pays se développaient et les coûts diminuaient graduellement — d’environ 20 % à chaque fois que la puissance installée doublait dans le monde.

© Stéphane Jungers/Reporterre

Alors que le coût de production diminuait avec la création de filières dédiées à l’extraction du silicium pour le photovoltaïque, la rentabilité des panneaux atteignait deux chiffres, ce qui inquiétait quelques acteurs lucides : « On se faisait rembarrer par les acteurs de la filière quand on disait que les tarifs étaient trop élevés », raconte Mélodie de l’Épine.

© Stéphane Jungers/Reporterre

Peu nombreuses furent les voix comme la sienne qui à l’époque ont averti des risques de bulle engendrés par ce décalage croissant entre un tarif d’achat élevé et des coûts qui continuaient de baisser, même si cela était visible dès la fin de l’année 2006. Les créations d’emplois et le développement des capacités installées étaient alors une trop belle occasion pour l’économie qui subissait de plein fouet les conséquences de la crise financière de 2008. Évidemment, cette embellie ne pouvait pas durer.

En novembre 2010, après avoir longtemps tergiversé, le Premier ministre François Fillon annonça un moratoire sur les tarifs d’achat. Stupeur. Si le tarif avantageux était maintenu pour les très petites puissances, pour les autres il chutait de près de 40 %. Et surtout, il allait désormais baisser de près de 10 % supplémentaires par an, dès lors qu’un palier de puissance installée serait atteint : 500 MW raccordés par an, pas davantage.

Au même moment, ailleurs dans le monde, le photovoltaïque continuait de progresser. À partir de son onzième plan quinquennal (2006-2010), la Chine se donna un premier objectif de 10 % d’énergies renouvelables dans son mix énergétique et poussait notamment les filières éolienne et photovoltaïque. Elle engageait la construction de plusieurs centrales pilotes d’une puissance supérieure à 10 MW en plein désert.

Selon Mylène Gaulard, économiste à l’université Grenoble Alpes, « ce pays est aussi devenu en très peu de temps le plus grand producteur de panneaux solaires, à l’origine de plus du tiers de la production mondiale malgré une faible consommation nationale » là où « en 2003, sa production ne représentait que 1 % du total mondial ».

En dix ans, la part des panneaux produits en Europe est passée de 30 à 3 %

De quoi inquiéter l’Union européenne dont l’industrie a vite été concurrencée par les panneaux asiatiques. La tentative d’appliquer des droits de douane à l’entrée sur les panneaux chinois tomba à l’eau après la réaction chinoise de faire de même sur les vins européens. La Commission européenne prit alors une mesure qui s’avéra désastreuse : un tarif de vente plancher pour les panneaux vendus en Europe. Ce dispositif présenté comme « antidumping » revenait à « subventionner les marges en Europe des producteurs chinois » selon Richard Loyen, délégué général d’Enerplan. Car, alors que son coût de production était en baisse constante, le vendeur chinois était « obligé » de vendre ses panneaux plus chers en Europe. De quoi lui assurer une marge financière confortable pour investir, décupler les capacités de production et confirmer la domination des industriels chinois sur le marché mondial. Résultat, entre 2007 et 2017, la part mondiale des panneaux produits en Europe est passée de 30 à 3 %. En 2018, ce dispositif antidumping fut enfin abandonné.

Durant la période, la France avait perdu jusqu’à 15 000 emplois selon Enerplan et surtout la quasi-totalité de ses entreprises capables de produire des panneaux made in France, dont ne subsistent que de rares acteurs.

Une centrale solaire à Chinon (Indre-et-Loire). Flickr / CC BY-NC-ND 2.0 / Vincent Leroy

Un exemple ? Photowatt. Basée à Bourgoin-Jallieu, en Isère, c’était une des entreprises pionnières dans la fabrication des cellules à base de silicium cristallin et des modules photovoltaïques. La crise de 2010 a conduit l’entreprise à licencier quatre-vingt-quinze CDI. Deux ans plus tard, en redressement judiciaire, Photowatt et ses 440 salariés étaient sauvés par EDF. Depuis, elle peine à grandir, avec des capacités de production limitées à 100 MW par an, là où partout dans le monde sont en train de se créer des « gigafactories » capables de produire dix à vingt fois plus à moindre coût. Certains espèrent aujourd’hui voir la France entrer dans le jeu de ces usines géantes dimensionnées pour produire plusieurs gigawatts de puissance — un changement d’échelle considérable.

En 2020, un premier espoir pour la filière est apparu à Hambach, en Moselle. REC-Solar, filiale du leader norvégien des panneaux photovoltaïques, allait créer une usine capable de fabriquer 2 gigawatts de panneaux par an, pour 680 millions d’euros d’investissement et au moins 1 800 emplois. Un projet ambitieux dans une région fortement touchée par la désindustrialisation, mais qui se heurtait à des oppositions, notamment car le groupe était possédé par des capitaux chinois. Depuis, REC-Solar a été racheté par le groupe indien Reliance et communique beaucoup moins sur son ambition française. Si une concertation en ligne a eu lieu fin décembre 2021 sur ce projet, le financement n’est toujours pas complet à cette heure. Dernière annonce en date : une startup française, Carbon, vise encore plus grand avec la promesse d’une usine de production de 5 GW en région lyonnaise à partir de 2025.



QU’EST-CE QUE L’ÉNERGIE SOLAIRE ?

Si on utilise dans le langage courant le terme de « solaire », le rayonnement du soleil peut être converti en énergie de plusieurs manières :

  • en captant la chaleur, on parle alors de solaire thermique ;
  • en transformant l’énergie lumineuse en énergie électrique, le photovoltaïque (ou PV) ;
  • en combinant production de chaleur et d’électricité : on parle alors d’aérothermie.

Cette enquête porte sur le seul photovoltaïque et implique plusieurs unités de mesure spécifiques. L’énergie lumineuse varie, elle, selon le moment de la journée, mais aussi selon la latitude et les saisons. Pour comparer des capacités de production, on utilise le kilowatt-crête (kWc), soit la puissance électrique maximale que produit un panneau avec un ensoleillement de 1 000 watts par mètre carré, sous un ciel dégagé, avec une température ambiante de 25 °C — au-delà le panneau surchauffe et produit moins.

La production d’électricité, elle, se mesure en wattheure et ses multiples (par mille) : kilowattheure (kWh), mégawattheure (MWh), gigawatt (GWh). Un kilowattheure correspond à la fourniture d’un kilowatt pendant une heure. Dès lors plus l’ensoleillement est important, plus un panneau solaire va produire. En France, le nombre d’heures d’ensoleillement annuel varie entre 1 613 heures à Metz et 2 917 heures à Toulon. Au niveau national, en 2021, la somme de toutes des installations photovoltaïques représentait 13,9 GW. Elles ont toujours en 2021 produit au total 14,3 térawattheures, soit 2,7 % du total de la production électrique du pays.

Au niveau technique, un « panneau photovoltaïque » se compose d’une structure (souvent en aluminium) qui encadre un « module » photovoltaïque. Ce module se compose lui-même d’un ensemble de cellules photovoltaïques interconnectées, faites principalement de silicium, un matériau fortement conducteur. Une couche de verre, souvent teintée pour limiter les reflets, protège ce silicium de l’extérieur. Le panneau est ensuite relié à un onduleur puis à un transformateur avant de rejoindre le réseau électrique.

[Au sol ou sur le bâti ? La bataille du solaire]L’énergie solaire est une piste essentielle pour se passer des énergies fossiles. Si son développement a tardé en France pendant quarante ans, les projets aujourd’hui se multiplient. Avec un enjeu de taille : manger des terres agricoles ou couvrir des zones déjà bétonnées.

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