En France, atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 implique une division par six de nos émissions de gaz à effet de serre au regard de 1990.
Cela suppose notamment, comme le stipule la loi énergie climat du 8 novembre 2019, de substituer aux énergies fossiles (dont la consommation devra réduire de 40 % en 2030 par rapport à 2012) des énergies décarbonées, à l’image des énergies renouvelables (EnR) ; celles-ci doivent être massivement déployées pour pouvoir représenter 33 % de la consommation finale d’énergie d’ici 2030. Rappelons que la « consommation finale d’énergie » désigne le total de l’énergie consommée par les utilisateurs finaux (les ménages, l’industrie ou l’agriculture par exemple).
Or la France a déjà pris du retard : en 2020, c’était le seul pays de l’Union européenne à ne pas avoir rempli ses objectifs en matière d’EnR, atteignant le seuil de 19 % de renouvelables dans sa consommation brute finale d’énergie, au lieu des 23 % attendus.
Initié chaque année par la chaire « Energy for Society » de Grenoble École de management, le Baromètre du marché de l’énergie a sollicité une centaine d’experts afin de comprendre ce retard dans le déploiement des renouvelables en France.
Un retard qui s’aggrave
Pour 70 % des spécialistes interrogés dans le cadre du Baromètre, la France n’est pas en mesure d’atteindre ses objectifs 2030 en matière de renouvelables (voir les réponses des experts ci-dessous).
Ce retard ne manquera pas d’entretenir une dépendance persistante au pétrole et au gaz, et une décarbonation plus lente de notre économie.
Des projets heurtés par une faible adhésion sociale
Pour les experts interrogés, les raisons de ce retard sont multiples : les procédures et demandes d’autorisations pour les projets d’EnR sont très longues ; les politiques nationales sur les renouvelables manquent d’engagement ; surtout, les nouveaux projets – éoliens en particulier – provoquent localement des levées de boucliers.
Plus de 65 % des experts (voir leurs réponses ci-dessous) pensent en effet que le manque d’adhésion sociale au niveau local constitue un frein majeur au déploiement de l’éolien terrestre.
Un sondage initié par l’Ademe et le ministère de Transition écologique en 2021 montre pourtant une bonne adhésion des Français au niveau national, à hauteur de 73 %.
Une situation contrastée selon les types de projet
Si les oppositions au déploiement de projets renouvelables évoquent l’impact sur le paysage et le patrimoine, les nuisances sonores ou olfactives, les atteintes à la biodiversité, certaines infrastructures sont moins visées que d’autres, à l’instar du solaire (installé sur les ombrières de parkings ou sur les toitures), pour lequel 90 % des experts interrogés trouvent le niveau d’adhésion sociale très bon.
Dans le détail, les parcs solaires au sol bénéficieraient d’un moins bon niveau d’acceptabilité, du fait de leur impact négatif sur le paysage ou le patrimoine. Pour ne pas entrer en concurrence avec d’autres usages sur les surfaces concernées, de plus en plus de parcs solaires (même si en France peu de statistiques globales existent sur le sujet) s’installent sur des parcelles de fonciers dégradés ou inutilisables, comme d’anciennes décharges par exemple.
Les projets d’agrivoltaïsme – pratique récente en France consistant à associer sur un même site une production agricole (maraîchage, élevage ou vigne) et, de manière secondaire, une production d’électricité par des panneaux solaires photovoltaïques – semblent bénéficier d’un niveau d’acceptabilité équivalent à celui des parcs au sol.
Ici, la question de la concurrence concerne le foncier agricole (production d’énergie versus production alimentaire), l’enjeu étant de pouvoir créer des projets vertueux pour l’agriculture et l’environnement, tout en préservant ou en reconquérant du foncier agricole perdu ces cinquante dernières années.
Autre infrastructure présentant un « potentiel conflit d’usage avec l’agriculture », la méthanisation connaît un plus faible niveau d’adhésion du fait de nuisances sonores (qui peuvent être causées par le transport de camion des intrants) et olfactives (des composés odorants émis lors de nombreuses phases dans le fonctionnement global d’un site). Des équipements existent toutefois pour traiter correctement ces biodéchets sans générer de telles nuisances.
Le Baromètre souligne d’autre part une tendance observée depuis quelques années au sujet du nucléaire : malgré des stigma très forts au sujet des risques d’accident et de la gestion des déchets, cette énergie semble susciter une adhésion grandissante en France.
Cette adhésion est significativement plus forte pour le nucléaire que pour l’éolien, pour lequel les experts estiment un niveau d’adhésion social faible, voire très faible, pour l’éolien terrestre (voir les réponses ci-dessus).
Ce serait l’impact sur le paysage et une détérioration de la valeur du patrimoine à proximité (voir les réponses ci-dessous) qui provoqueraient une telle résistance. Or l’Ademe a récemment conclu, dans un rapport publié en juillet 2022, que :
« L’impact de l’éolien sur l’immobilier est nul pour 90 %, et très faible pour 10 % des maisons vendues sur la période 2015-2020, impact comparable à celui d’autres infrastructures industrielles (pylônes électriques, antennes relais). »
À cela s’ajouterait, pour les éoliennes en mer, le « conflit avec les zones de pêche » ou l’impact sur la biodiversité pour lequel des études montrent des retombées contrastées.
Des bénéfices communs doivent s’appliquer
La mise en place d’un mécanisme de rétribution financière pour les populations riveraines de nouvelles infrastructures (parc éolien ou solaire, méthaniseur) est la mesure à laquelle les experts du Baromètre croient le plus (parmi une dizaine de propositions) pour lever ces blocages au niveau local. Pourtant, cette mesure a été retirée du projet de loi d’accélération des énergies renouvelables du 10 mars 2023.
Les députés privilégient des mesures territoriales plus larges, comme des fonds pour aider les ménages modestes en situation de précarité énergétique ou pour financer des projets en faveur de la biodiversité, qui, en l’occurrence, auraient selon les experts du Baromètre moins d’effet sur l’adhésion (voir les réponses ci-dessous).
Les résultats montrent clairement que l’engagement, l’information et la concertation auprès des citoyens sont essentiels au bon déploiement des EnR au niveau local.
Accompagner le déploiement de ces projets
La réussite de la transition écologique repose sur un changement profond de notre société, avec le déploiement massif de nouvelles énergies décentralisées, en plus des nécessaires sobriété et efficacité énergétiques. Tout doit aller plus vite, plus fort, mais il y a un besoin de cohérence, ces nouveaux projets étant sur le terrain loin de faire l’unanimité. Les contestations locales comme nationales semblent constituer un frein majeur à la transition énergétique.
Pour que la France atteigne ses objectifs, l’État doit ainsi s’assurer de la bonne cohérence des moyens mis en œuvre pour déployer les renouvelables sur le territoire.
Cela peut se faire en promouvant l’intérêt des différentes EnR dans la transition énergétique ; en luttant contre la désinformation et en trouvant des messages fédérateurs ; en facilitant l’engagement/la participation en amont des citoyens au niveau local (sur l’implantation, le type de projet, etc.) ; en garantissant un partage, ou un accès, à la création de valeur au niveau du collectif local.
Il y a un vrai enjeu à informer et à expliquer pour rendre ces projets « appropriables ».
Décarbonation et sobriété sont des choix de société qui engagent tous les acteurs : de « grandes idées » qu’il faudra savoir détailler et illustrer pour les rendre concrètes. Si l’on ne veut pas que la transition apparaisse comme « subie », et continue de se heurter à un enjeu d’acceptabilité, il faut qu’elle devienne une histoire commune, aux fondamentaux partagés par tous les acteurs de la société.
Source : The Conversation